Il n'a échappé à personne que depuis 3 ans, maintenir à flot une très petite entreprise est un véritable parcours du combattant mêlant autant de folie que d'espoir ; qui consomme beaucoup d'énergie et peut facilement amener à un épuisement moral.
Au fur et à mesure, nous avons identifié que notre pire ennemie dans cette période se cachait en nous-même. Il s'agit de la peur (étape 1 de notre cheminement)
- Peur de ne pas vendre assez pour payer les charges [n'entrant pas dans le jeu de la Politique Agricole Commune qui privilégie les grosses exploitations et propriétaires terriens, nos ventes sont les seuls revenus de la ferme] et subvenir à nos besoins privés.
- Peur de ne pas réaliser tout le travail à temps
- Peur de prendre de mauvaises décisions
- Peur de l'avenir
- ...
Et mêlée à la fatigue, elle devient bien mauvaise conseillère.
Alors pour ne pas se laisser submerger par ces dernières [émotions et fatigue auront tout de même été utiles car elles nous auront amenées à amorcer un
changement], nous en avons cherché l'origine (étape 2) et en avons trouvé plusieurs :
- Restrictions des possibilités de ventes lors du COVID (fermetures de boutiques, marchés interdits, ...)
- Inflation sur les matières premières, l'essence, les emballages, l'énergie, l'alimentation des animaux, ...
- Baisse du pouvoir d'achat de notre clientèle et donc baisse de la clientèle en général
- Fort développement de la savonnerie et donc de la concurrence [ce qui en soit ne poserait aucun problème -bien au contraire !- si la clientèle se développait dans le
même sens] depuis le COVID - Fermetures définitives de nombreux points de vente
- Sécheresses et canicules qui mettent à mal certaines productions de matières premières, notamment l'huile d'olive
- Réglementation européenne et française qui changent plus vite que leurs ombres (et qui parfois ne s'accordent pas)
Bref, rien de très réjouissant. Nous avons donc cherché des solutions (une fois encore) pour ne pas baisser la qualité de ce que l'on vous propose ni refaire l'erreur de 2020, faire ce qu'on nous avait appris, foncer tête baissée dans la logique capitaliste : travailler 3 fois plus pour maintenir le même niveau de ventes et finir épuisé·e·s. |
La troisième étape a alors été de ralentir pour observer ce qui nous entourait pour au final nous rendre compte que nous n'avions aucune emprise sur ces évènements et qu'il nous fallait donc lâcher prise pour avoir l'esprit plus clair.
Une fois cette phrase ancrée dans nos têtes : "Nous ne sommes pas responsables de cette accumulation de difficultés !" Nous avons pu commencer à déculpabiliser, nous recentrer et chercher quelles étaient nos possibilités.
Nous avons alors opté pour ce qui nous a paru être le plus simple et le plus logique.
Si la peur globale liée à tous ces évènements est celle de manquer d'argent, alors faisons en sorte d'en avoir moins besoin !
Avouez que dit comme ça, ça parait simple, non ? Sa mise en place, peut quant à elle paraitre un tant soit peu plus compliquée, c'est l'étape numéro 4.
En pratique, sur la ferme, il y a les économies à court terme pour lesquelles vous êtes nombreux·ses à apporter votre contribution (apport de sacs, de cartons d'expéditions, de rembourrage, taille d'arbres...). Et puis il y a les économies à plus long terme qui nécessitent souvent des investissements financiers, du temps ou les deux :
- achat d'un vélo pour réduire les frais d'essence et de voiture
- achat de matériel comme la fagoteuse pour valoriser la récupération de végétaux
- la formation à la traction et l'éducation d'un ou plusieurs animaux pour modifier du travail sur la ferme
- adapter nos périodes de fabrication (avec des rythmes parfois fort soutenus) suite à l'achat de matières premières en date courte pour se rapprocher des prix avant inflation [actuellement nous sommes à x2.5 sur le prix de l'huile d'olive (et c'est loin d'être fini), x2 pour l'huile de coco, +25% pour le beurre de karité...].
- ...
Mais cela est bien loin d'être suffisant. Pour être efficace, il fallait que cette démarche soit globale et donc principalement accès sur nos besoins personnels.
Car si 1€ de chiffre d'affaires gagné n'est pas équivalent à 1€ dépensable pour les frais privés ; 1€ économisé dans la sphère privée, c'est (suivant les lieux de vente) 5 à 10€ de ventes en moins à réaliser.
Nous avons donc commencé par reprendre ce que nous avions mis dans la case "loisirs" [comprenez ce qu'on fait quand on arrive à trouver du temps quelque part, une heure par-ci par-là] au début de notre installation (étape 5) : un potager, sur un sol super argileux, et sans arrivée d'eau de réseau, mais il faut bien faire avec ce que l'on a.
L'année suivante, nous avons commencé à ré-ouvrir (débroussailler) le verger acquis avec les pâturages il y a 3 ans. Par la même occasion, nous avons commencé à récolter du bois de chauffage tout en préparant de la culture de bois sur arbre vivant en créant nos premières trognes de chênes dans ce même verger, pour les années futures.
Puis nous avons commencé à nous former de manière autodidacte sur la taille et les soins à apporter aux arbres fruitiers (vive les permanences en boutique et moment d'attente sur les marchés pour dévorer les livres sur ces sujets), ce que nous poursuivons toujours.
Entre optimisation de notre consommation d'eau et d'électricité, fabrications de lessive & de produits d'entretien, transformation et conservation des plantes, fruits et légumes récoltés, bricolages divers comme la création de plusieurs petites serres avec des matériaux de récupération ou l'amélioration de notre système de récupération d'eau, du glanage varié ou encore de la cueillette de plante sauvage (pour lesquelles nous nous formons encore) ; la peur pouvait reculer un peu car nos factures courantes baissaient (ou n'augmentaient plus).
Mais la fatigue est revenue de plus belle car la charge de travail ne diminuait nulle part, bien au contraire.
Et quand la tête ne veut rien entendre, le corps parle plus fort.
Nous avons donc tous deux arrêté certaines activités annexes (présence dans des associations, conseil municipal, activités sportives, ...) une fois encore pour nous soulager l'esprit.
Cela a fonctionné un moment, puis les mauvaises nouvelles se sont accélérées et rapprochées, à tel point que nous avons eu l'impression de ne plus reconnaitre notre métier.
- Les rappels de factures impayées à envoyer se sont transformés plusieurs fois en document d'huissier que nous avons appris à remplir pour des boutiques en liquidation judiciaires, sans grand espoir d'être payé·e·s un jour.
- Les obligations réglementaires ont augmentées avec l'obligation de créer un dossier sur la gestion des déchets ménagers mis sur le marché, une obligation d'affichage sur les étiquettes du triman et donc la modification de nos emballages (bientôt terminée pour les savons, heureusement on a le droit de terminer nos stocks, mais nous avons encore tous les autres produits à faire), [obligation française avec laquelle l'Europe est en désaccord]
- La réévaluation européenne des allergènes pour la deuxième fois en 3 ans, avec cette fois-ci l'ajout de 26 nouvelles substances définies comme allergènes pouvant être contenues dans les ingrédients parfumant (naturels ou non) ce qui oblige à redemander la documentation à nos fournisseurs pour ensuite reprendre tous nos dossiers déjà évalués, vérifier que les quantités mises dans nos produits sont toujours bons ou alors modifier nos formulations et payer un nouveau contrôle par notre évaluateur toxicologique.
- Reprendre le démarchage de boutiques pour pallier à celles qui ont fermé (pour un nouveau point de vente trouvé, comptez 10 de contactés au minimum avec des fois des réponses positives plusieurs mois voire un an plus tard) pour parfois les voir fermer aussi l'année suivante.
- Avoir l'impression de devenir courtière en huile végétale pour chercher "la bonne occasion", savoir si oui ou non il faut commander maintenant, faire la paperasse adéquate si nous décidons de changer de fournisseur, modifier la gestion des commandes auprès des quelques grossistes avec qui nous travaillons car ils ont modifié leurs conditions générales de ventes, leurs minimums de commande, leurs frais de port, leurs délais de règlement etc.
A nouveau, nos corps ont parlé pendant l'été et juste après pour nous demander de ralentir.
Et là est apparue une nouvelle peur : celle de nous dégoûter de notre métier qui nous passionne pourtant tellement (petit clin d'oeil aux personnes qui continuent à nous demander pourquoi on ne fait pas plus de choses avec nos ânes, accueil de groupes à la ferme, proposition de randonnées, je les invite à venir d'abord découvrir notre belle administration et ses surprises toujours plus inattendues !).
Nous avons réalisé à ce moment-là que nos jours de repos ont été mis de côté depuis bien trop longtemps, et que notre santé, vaut plus à nos yeux que des indemnités de retard en cas de dossier non rendu dans les temps.
Notre nouvelle ambition est donc aujourd'hui de recharger le "capital humain" que nous avons trop exploité ces derniers temps. |
Comment pensons-nous faire ça ?
En nous concentrant sur le coeur de notre métier et ce qui nous fait réellement vibrer : apprendre toujours plus à avoir un mode de vie plus résilient et profiter de ce que la nature nous offre si généreusement en diminuant le temps que nous passons à l'aspect administratif et commercial de l'entreprise.
Nous avons commencé depuis fin septembre (oui j'ai eu du mal à rédiger cet article qui est plus personnel que les derniers et donc plus compliqué à faire émerger), juste après avoir pris la décision de nous faire passer en premier pendant et pour au moins 6 mois, à :
- nous inscrire aux formations que l'on souhaite faire depuis longtemps mais qu'on se refusait parce qu'il "fallait faire un marché" (ou ce genre de chose) comme la traction animale
- initier Jaspe à la traction
- aller récolter des fruits dès que l'on nous en a proposé (notre verger étant encore peu productif) et apprendre à les transformer pour les conserver
- désensibiliser Valentin à la monte (pour un poids plume, vu son âge)
- entretenir nos mares
- aller à la cueillette de champignons
- faire fleurir des ateliers, balades et autres rencontres à la ferme
- faire de nouvelles expérimentations dans notre potager
- baisser le nombre de marchés auxquels nous nous inscrivons
- arrêter la recherche et le démarchage de nouveaux points de vente
Pour le moment, nous ressentons un réel bienfait suite à ce choix, alors pour la suite, nous avons prévu de poursuivre avec :
- la plantation d'arbres fruitiers et la poursuite de nos haies
- l'entretien de nos trognes
- la création de nouvelles trognes
- la poursuite de l'ouverture du verger (nous n'en sommes qu'à la moitié !) et de la taille des arbres fruitiers
- l'aménagement de parcours dans le poulailler pour développer l'autonomie alimentaire de nos poules
- la découverte de nouveaux savoir-faire comme le travail de la laine, la vannerie, le shiatsu équin
- ...
Nous testons donc une nouvelle manière de gérer notre emploi du temps, et pour illustrer tout cela, nous avons décider de vous en dire un peu plus sur ces évolutions et cette expérience sur les pages facebook et instagram de la ferme en espérant votre soutien dans cette démarche.
Cela veut-il dire que nous n'avons plus besoin de vendre du savon ?
Bien au contraire car c'est notre unique source de revenus ! Mais nous n'avons plus le coeur et la force morale pour aller "nous vendre" [expression vraiment moche, mais c'était devenu notre ressenti] auprès de commerçant·e·s qui pouvaient parfois s'avérer être très durs dans leur façon d'être, de répondre ou de simplement dénigrer notre travail ou l'artisanat en général, n'ayant confiance que dans l'industriel.
Nous espérons que si la boutique où vous aviez l'habitude de trouver nos produits a fermé, vous prendrez le temps de venir les chercher sur un marché, dans une autre boutique, à la ferme, ou encore sur le site internet [ou encore mieux, que vous parlerez de nous à vos commerçant·e·s préféré·e·s pour qu'iels nous ouvrent leur porte]